Anémie chronique inexpliquée, quelle est la marche à suivre?
Auteur:
Prof. Dr méd. Nicolas Bonadies
Universitätsklinik für Hämatologie und Hämatologisches Zentrallabor, Inselspital Universitätsspital Bern
Department for BioMedical Research
Universität Bern
E-mail: nicolas.bonadies@insel.ch
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L’anémie est un symptôme très fréquent, qui revêt une grande importance dans les soins de santé dans le monde, et l’expression de nombreuses maladies qui doivent être identifiées et traitées. Après avoir exclu une perte de sang, une hémolyse, une carence en substrat ou une insuffisance rénale pertinente, il peut être difficile de déterminer la cause d’une anémie chronique inexpliquée. Il est donc utile d’utiliser une approche systématique et de faire appel à des spécialistes en fonction des besoins. Ce travail de synthèse aborde les principaux aspects de l’anémie chronique et présente une approche systématique pour l’évaluation. Il traite également de l’importance croissante de l’hématopoïèse clonale liée à l’âge ainsi que de sa distinction des néoplasies myéloïdes.
Keypoints
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L’anémie est un symptôme très fréquent de nombreuses maladies et est associée à une morbidité et une mortalité accrues.
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Les conditions hygiéniques et socio-économiques ont un impact sur la prévalence de l’anémie ainsi que les causes possibles à l’échelle mondiale.
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En raison des nombreuses causes d’une anémie chronique inexpliquée, il est pertinent d’utiliser une approche systématique pour l’évaluation afin de parvenir rapidement à un diagnostic.
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L’évaluation de l’anémie chronique inexpliquée est complexe et il est donc recommandé d’adresser les patients à un spécialiste expérimenté pour l’identification des causes pouvant être traitées.
Tab. 1: Valeurs normales de l’hémoglobine (adapté selon Herklotz et al., 2006)1
Le terme «anémie» vient du grec, il décrit l’état d’abattement et la baisse des performances dus à un appauvrissement du sang. L’anémie est définie par une diminution de la concentration d’hémoglobine ou du nombre d’érythrocytes dans le volume sanguin (hématocrite). Pendant l’enfance, la concentration d’hémoglobine augmente en continu jusqu’à la puberté et est en moyenne inférieure de 10g/l chez les femmes en âge de procréer que chez les hommes (Tab. 1).1 L’OMS définit la valeur limite inférieure à 120g/l pour les femmes et à 130g/l pour les hommes, tout en sachant que des facteurs supplémentaires peuvent avoir un impact sur la valeur normale (p.ex. séjour en altitude) en plus du sexe et de l’âge.2 Avec la disparition des facteurs hormonaux, la différence entre les sexes est gommée progressivement à partir de la 5e décennie. Il est probable que cet aspect ne soit pas toujours pris en compte dans l’évaluation des valeurs normales en fonction de l’âge et c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles la prévalence de l’anémie est plus élevée chez les hommes âgés.3
Importance de l’anémie
L’anémie revêt une très grande importance à l’échelle mondiale et sa prévalence reflète son association avec de nombreuses maladies, qui dépendent notamment fortement des facteurs hygiéniques et socio-économiques des pays concernés. La prévalence mondiale de l’anémie se situait entre 40 et 45% chez les femmes et entre 30 et 40% chez les hommes entre 1990 et 2010, avec une légère tendance à la baisse sur la période d’observation (Fig. 1).4 Dans les pays en développement, la prévalence se situe entre 40 et 60% et les principales causes sont la carence martiale, les infections ainsi que les hémoglobinopathies. Dans les pays développés, la prévalence atteint en revanche à peine 20% et les principales causes sont la carence martiale, les hémoglobinopathies ainsi que l’insuffisance rénale chronique.4,5 L’anémie ferriprive représente de ce fait la majeure partie des anémies chroniques, même dans les pays développés, mais les causes de la carence martiale diffèrent: hémorragies chroniques, alimentation pauvre en viande et rares troubles de l’absorption dans les pays développés, par rapport à malnutrition et infections intestinales dans les pays en développement.
Fig. 1: Causes de l’anémie à l’échelle mondiale (adapté selon Kassebaum et al., 2006)5
La prévalence de l’anémie chronique est liée à l’âge. Chez les femmes dans les pays développés, elle est de 15% pendant la 6e décennie et augmente jusqu’à 30% à partir de la 8e décennie. Chez les hommes, elle atteint à peine 20% et augmente jusqu’à 50% au cours de la même période (Fig. 2).3 Par ailleurs, l’anémie touche en grande partie les patients hospitalisés et les résidents des maisons de retraite, la prévalence augmentant jusqu’à 70% dans ce groupe de patients.6 Dans les pays développés, l’anémie chronique est associée à différentes maladies concomitantes7 (Fig. 3) et une mortalité accrue (Fig. 4). Le risque augmente de manière exponentielle avec la sévérité de l’anémie, chez les femmes comme chez les hommes (risque relatif: 3–4 pour une Hb <110/120g/l).8 L’anémie constitue donc un prédicteur important d’une mortalité accrue et un symptôme à prendre au sérieux qui devrait être évalué et traité de manière approfondie.
Fig. 2: Prévalence de l’anémie en fonction de l’âge (adapté selon Stauder et al., 2018)3
Fig. 3: Prévalence de l’anémie dans le cadre de la prise en charge de premier recours (adapté selon Gandhi et al., 2017)7
Fig. 4: Mortalité en cas d’anémies (adapté selon Culleton et al., 2006)8
Approche systématique lors de l’évaluation de l’anémie
Lors de l’évaluation d’une anémie, certains aspects doivent être clarifiés afin de pouvoir exclure rapidement des états engageant le pronostic vital (Tab. 2). Les patients présentant une anémie aiguë à au moins modérée, probablement due à une consommation (hémorragie et hémolyse), doivent être examinés immédiatement (le cas échéant, dans le cadre d’une hospitalisation) si la cause et la dynamique ultérieure ne peuvent pas être déterminées avec certitude.
Causes générales des cytopénies
Tab. 2
Pour évaluer les cytopénies, il est utile de classer les causes possibles dans ces trois catégories mécanistiques principales: séquestration, consommation et défaut de production. Les trois lignées de cellules sanguines (érythropoïèse, myélopoïèse et thrombopoïèse) doivent également être prises en compte (Tab. 2, Fig. 5 et 6).9 Ainsi, il convient de différencier une anémie isolée d’une bicytopénie, voire d’une pancytopénie. Il convient de noter qu’une lymphocytopénie peut survenir plus fréquemment avec l’âge, mais que le nombre de neutrophiles est important pour l’évaluation de la fonction de la moelle osseuse. Un hémogramme différentiel est donc nécessaire pour pouvoir les distinguer. L’examen clinique et l’échographie abdominale sont utiles pour exclure une séquestration en cas d’hypersplénisme. Cependant, la séquestration concerne souvent notamment les leucocytes et les thrombocytes, et est rarement associée à une anémie isolée (bi- ou pancytopénie). Une consommation accrue peut généralement déjà être détectée grâce à l’anamnèse (médicaments, substances), au tableau clinique (infections, saignements) ou à des analyses sanguines supplémentaires accessibles à tous (CRP, LDH). Les cytopénies auto-immunes (hémolyse auto-immune, neutropénie immune et thrombopénie immune) doivent en revanche être évaluées et traitées par un spécialiste, car le diagnostic et le traitement sont souvent complexes, et nécessitent de l’expérience dans la prise en charge de ces maladies.Après avoir exclu une carence en substrat et une insuffisance rénale, l’évaluation d’un défaut de production peut également être complexe pour arriver à éliminer une inhibition ou un trouble intrinsèque de l’hématopoïèse. Le cas échéant, il convient aussi de consulter un spécialiste, car la nécessité d’une ponction de la moelle osseuse doit être envisagée et les résultats multimodaux (analyses de laboratoire, hémogramme, moelle osseuse, cytométrie en flux, analyse cytogénétique, diagnostic moléculaire) doivent être interprétés de manière intégrative.
Fig. 5: Piste d’évaluation primaire en cas d’anémie (adapté selon Koury et Rhodes, 2012)9
Fig. 6: Piste d’évaluation secondaire en cas d’anémie (adapté selon Koury et Rhodes, 2012)9
Une consommation est généralement aiguë ou chronique intermittente, alors que l’anémie est le plus souvent chronique en cas de séquestration ou de défaut de production. Il n’est cependant pas rare que des anémies relèvent de la combinaison de différents mécanismes, comme dans le cas de maladies inflammatoires ou auto-immunes (consommation périphérique et défaut de production) ainsi que de maladies hépatiques (séquestration et hémorragie).
Cas particulier de l’anémie en cas d’hémolyse: potentiellement mortelle, aiguë ou chronique
L’hémolyse engage le pronostic vital et doit être reconnue et traitée immédiatement, même dans le cadre de la prise en charge de premier recours. En l’absence d’autres maladies concomitantes, il s’agit généralement d’une anémie normochrome normocytaire régénérative et les paramètres d’hémolyse élevés (LDH et bilirubine indirecte élevées, et haptoglobine non mesurable) indiquent la cause possible. L’hémolyse aiguë décompensée et les anémies hémolytiques sont particulièrement dangereuses lorsque la réserve compensatoire est limitée (carence en substrat, insuffisance rénale, infection, maladie ou inhibition des cellules souches).
Les anémies hémolytiques sont généralement divisées en anémies hémolytiques corpusculaires et extra-corpusculaires. Les anémies corpusculaires sont presque exclusivement des maladies héréditaires (hémoglobinopathies, membranopathies, enzymopathies [voir section Pathologies érythrocytaires]), la seule exception étant l’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN). Une confirmation est possible grâce à la cytométrie en flux avec mise en évidence d’une diminution des protéines membranaires, inhibitrices du complément, GPI-ancrées (glycosylphosphatidylinositol) au niveau des érythrocytes et des monocytes. Parmi les anémies hémolytiques extra-corpusculaires, on distingue les hémolyses mécaniques, physiques, infectieuses et médiées par des anticorps. Ces dernières sont généralement des anémies hémolytiques auto-immunes (AHAI) médiées par des auto-anticorps «chauds» (IgG) ou «froids» (IgG), mais des formes mixtes sont parfois observées. Les AHAI sont divisées en formes primitives idiopathiques (50%, p.ex. en cas d’immunodéficience primaire) et en formes secondaires (maladies lymphoprolifératives ou rhumatismales, infections chroniques). La classification de l’anémie hémolytique se base donc sur les antécédents personnels et familiaux (héréditaires par rapport à acquis), la mise en évidence de l’hémoglobine libre dans le plasma (extravasculaire par rapport à intravasculaire), le test de Coombs (positif ou négatif) et les évaluations spécifiques (hémoglobinopathies, membranopathies, enzymopathies, HPN) qui nécessitent d’adresser le patient à un spécialiste pour leur interprétation.
Physiologie de l’érythropoïèse
Pour déterminer la cause d’une anémie chronique, il est utile de connaître les principaux stades et les facteurs ayant un impact sur l’érythropoïèse. Les cellules progénitrices érythropoïétiques précoces (CMP, BFU-E, CFU-E) sont rares et se développent à partir de la cellule souche hématopoïétique (CSH). Elles donnent naissance dans le pool d’amplification à des proérythroblastes et à différents stades de maturation des normoblastes (normoblastes basophiles, orthochromatiques et éosinophiles), qui forment enfin des réticulocytes après expulsion du noyau.
L’érythropoïétine (EPO) est l’une des principales hormones qui élargit le pool de cellules progénitrices érythroïdes et de proérythroblastes en supprimant l’apoptose.9 La survie des normoblastes plus matures est influencée par la voie de signalisation des SMAD, qui est activée par des facteurs de la famille des substances TGF-bêta en cas d’inflammation et peut alors compromettre la maturation des normoblastes. En cas d’inflammation, la sécrétion d’EPO par les reins est également supprimée et les cellules progénitrices érythropoïétiques développent en outre une résistance à l’EPO, de sorte que cette hormone essentielle de l’hématopoïèse ne peut plus agir suffisamment aux doses physiologiques.
Lors de la maturation des érythrocytes, la disponibilité de l’acide folique et de la vitamine B12 est cruciale pour la synthèse de l’ADN. En cas de carence, ces cellules réduisent la fréquence de division et compensent la diminution de la prolifération par une augmentation de la taille des cellules (macrocytose). En cas de carence sévère, cela peut générer des cellules progénitrices de la lignée myéloïde de taille gigantesque (métamyélocytes géants) et une hémolyse intramédullaire, qui peut parfois être interprétée à tort comme une véritable hémolyse, voire un lymphome.
Un taux de fer suffisant est nécessaire à la synthèse de l’hémoglobine. En cas de carence martiale, la taille des cellules est réduite de manière à économiser également de l’hémoglobine avec de petites cellules (microcytose hyporégénérative), en plus d’une diminution de leur nombre. La concentration moyenne en hémoglobine (MCH) étant en corrélation avec la taille des cellules (MCV), la concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine (MCHC) est plus pertinente pour évaluer la chromie (concentration en hémoglobine). En cas de carence martiale, les trois indices érythrocytaires sont diminués.
En cas de thalassémie, les chaînes alpha ou bêta sont touchées par des mutations et donnent lieu à des variants «instables» de l’hémoglobine qui réduisent la durée de survie des érythrocytes (voir section Pathologies érythrocytaires). Ce trouble entraîne la formation de petites cellules ainsi qu’une augmentation compensatoire du nombre de réticulocytes et d’érythrocytes (microcytose hyperrégénérative), avec parfois une hématopoïèse extramédullaire dans les formes sévères. La MCHC reste normale tant qu’il n’y a aucune carence martiale. Dans le cas contraire, la MCHC est également réduite, l’érythrocytose diminue et les cellules deviennent inhabituellement petites.
Évaluation systématique d’une anémie chronique
Sur la base des caractéristiques physiologiques de l’érythropoïèse, les anémies sont réparties en fonction de la réserve régénérative (réticulocytes: hypo-/normo-/hyperrégénératif), de la taille des cellules (MCV: micro-/normo-/macrocytaire) et de la concentration en hémoglobine (chromie; MCHC: hypo-/normo-/hyperchromique) (Fig. 7). Comme indiqué précédemment, la concentration moyenne en hémoglobine (MCH) est en corrélation avec la taille des cellules (MCV). La concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine (MCHC) est plus pertinente pour évaluer la chromie (concentration en hémoglobine) et donc pour la carence martiale. Le nombre de réticulocytes est en outre lié à la sévérité de l’anémie (Ht) en cas de compensation physiologique; l’anémie diminue également le temps de séjour des réticulocytes dans la moelle osseuse. Cela se traduit par l’indice des réticulocytes (seuil de classification comme hyporégénératif <3%) et l’indice de production des réticulocytes (<2). Ces paramètres sont calculés automatiquement par la plupart des laboratoires et figurent sur les feuilles de résultats pour l’interprétation de la capacité de régénération (Tab. 3).
Fig. 7: Paramètres de laboratoire pour la classification des anémies
Tab. 3: Interprétation des réticulocytes et des différents indices
Après avoir exclu une séquestration, une hémorragie aiguë ou une hémolyse, les causes centrales suivantes d’un défaut de production peuvent être envisagées pour les anémies hypoprolifératives chroniques:
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Carence en substrats hémogéniques (nutrition, absorption, immunologique)
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Inflammation chronique (insuffisance rénale chronique, maladie rhumatismale, infections chroniques, tumeurs malignes)
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Pathologies érythrocytaires (hémoglobino-, membrano-, enzymopathies)
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Inhibition de l’hématopoïèse (tumeur métastatique, lymphome, myélome, fibrose)
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Maladies des cellules souches et progénitrices hématopoïétiques
Carence en substrats hémogéniques
Une carence en substrat (fer, acide folique et vitamine B12) peut être détectée grâce à des analyses de laboratoire courantes. Il convient généralement de veiller à ce que la cause de cette carence soit également toujours déterminée, en plus du traitement de substitution. En l’absence d’une inflammation ou d’une pathologie hépatique, la ferritine suffit souvent pour évaluer les réserves en fer. En cas de doute, la saturation de la transferrine (à jeun) doit également être mesurée.
Il faut aussi penser à un trouble de l’absorption (sprue) ou à une inflammation chronique (maladies rhumatismales) chez les femmes en âge de procréer, si une supplémentation en fer par voie orale pendant 2 à 3 mois ne permet pas de combler la carence. En cas de tableau clinique évocateur, il vaut donc la peine d’effectuer un test d’absorption du fer avant d’instaurer un traitement par voie orale. Le fer sérique est déterminé à jeun avant et 4 heures après la prise d’une dose orale adéquate de fer (200mg de fer bivalent). Une augmentation du fer sérique <30–40% est insuffisante et doit faire l’objet d’un examen plus approfondi (anticorps anti-transglutaminase et anti-gliadine; attention: faux négatif en cas de carence en IgA).
Chez les hommes et les personnes âgées, une carence martiale est toujours considérée comme un signe d’hémorragie gastro-intestinale ou urogénitale chronique et doit donner lieu à des examens supplémentaires. Plus de 50% du fer dans le corps (3–4,5g au total) sont liés à l’hémoglobine dans le sang et seulement 0,1% peut être mesuré dans le sérum.10 Pour 500ml de sang, notre corps perd 250mg de fer. Le fer peut également être recyclé par le système réticulo-endothélial (SRE) grâce aux transfusions. En cas d’inflammation, l’utilisation du fer stocké est toutefois fortement limitée à cause de l’effet de séquestration de l’hepcidine, un traitement oral est donc inutile (voir section Inflammations chroniques). Une hémolyse intravasculaire (HPN, mécanique) peut entraîner une carence martiale dans de rares cas.
Les causes les plus fréquentes d’une carence en substrat sont les suivantes: dénutrition, troubles de l’absorption gastro-intestinale, besoins accrus, pertes et, parfois, médicaments interférents (inhibiteurs de la pompe à protons, méthotrexate, antiépileptiques, antibiotiques et autres). En cas de carence en vitamine B12, il faut également considérer des troubles à médiation immunitaire associés à une diminution du facteur intrinsèque (FI) (anémie pernicieuse). Ces troubles peuvent être dus à des anticorps ciblant le FI lui-même (dégradation immunologique) ou indirectement à des anticorps ciblant les cellules pariétales qui produisent le FI (défaut de production). Il faut donc envisager la nécessité d’une gastroscopie si une carence en vitamine B12 existe, car la gastrite atrophique est associée à un risque accru de carcinome gastrique. Les réserves de vitamine B12 sont généralement suffisantes pour 8 à 10 ans, les symptômes peuvent donc apparaître tardivement.
Inflammation chronique
L’anémie induite par une inflammation chronique présente une physiopathologie très complexe,11 dans laquelle l’hepcidine, l’hormone régulatrice du fer, joue un rôle central.12 L’hepcidine est une protéine de phase aiguë qui est fortement régulée en cas d’inflammation. Elle entraîne une dégradation liposomale de la ferroportine, un exportateur du fer, dans les entérocytes, les hépatocytes, les macrophages et les cellules placentaires. La ferroportine est responsable de l’exportation du fer hors des cellules. En cas d’inflammation, le fer reste séquestré dans les cellules et n’est plus disponible pour l’organisme, notamment pour l’érythropoïèse. L’anémie en cas d’inflammation chronique (anémie concomitante) se traduit donc par un trouble de l’utilisation du fer (carence martiale fonctionnelle, séquestration), une disponibilité/réponse inadéquate de l’EPO et une réduction de la durée de survie des érythrocytes.
Une multitude de maladies entraînent une inflammation chronique, p.ex. l’insuffisance rénale, l’insuffisance cardiaque, les maladies rhumatismales et également les cancers. Pour traiter l’anémie concomitante, il convient (si possible) d’éliminer d’abord la cause. Un traitement de supplémentation en fer par voie orale n’est ici guère efficace à cause de l’effet de séquestration de l’hepcidine. Par conséquent, l’administration de fer par voie intraveineuse doit être privilégiée à celle par voie orale en cas de maladies inflammatoires. De nombreuses nouvelles substances sont actuellement testées. Elles interfèrent avec l’hepcidine ou la voie de signalisation des SMAD, et peuvent ainsi améliorer d’une part la disponibilité du fer et d’autre part également l’érythropoïèse en cas d’inflammation.
Pathologies érythrocytaires
L’évaluation des hémoglobinopathies, des enzymopathies et des membranopathies peut être complexe et doit être confiée à des spécialistes, elle n’est donc abordée ici que brièvement.13–15 Les thalassémies et les drépanocytoses sont les principales hémoglobinopathies qui jouent un rôle extrêmement important à l’échelle mondiale et gagnent en importance dans le cadre de la migration, y compris dans les pays occidentaux.5 L’origine ethnique des patients ainsi qu’une constellation de laboratoire évocatrice d’une anémie microcytaire régénérative et d’une MCHC (généralement) normale sont décisives pour le diagnostic. L’examen microscopique est utile pour déterminer les thalassémies, mais le diagnostic est confirmé par l’électrophorèse de l’hémoglobine ainsi que des tests génétiques supplémentaires. La distinction entre les patients qui dépendent ou non des transfusions est très importante pour la prise en charge, car elle influence considérablement la complexité du traitement et le pronostic.
En cas de drépanocytose, il faut différencier le porteur de la drépanocytose (trait drépanocytaire avec mutation hétérozygote HbS) de la maladie drépanocytaire (mutation homozygote HbSS). Seule cette dernière peut provoquer régulièrement des crises drépanocytaires avec douleurs et occlusion vasculaire. Ces crises sont déclenchées par la déshydratation, l’inflammation et l’hypoxie, et contribuent de manière significative à la morbidité comme à la mortalité.
Les défauts de la membrane érythrocytaire les plus fréquents sont les sphérocytoses. Il est possible de les distinguer d’autres défauts de la membrane grâce à l’examen microscopique, la fragilité osmotique, l’ektacytométrie (mesure de la déformabilité de la membrane) et des tests génétiques. Les déficits enzymatiques causent en fin de compte rarement des anémies hémolytiques corpusculaires. Les principaux déficits sont ceux en glucose-6-phosphate déshydrogénase (ou favisme) et en pyruvate kinase, ces derniers pouvant entraîner des hémolyses intermittentes importantes, en particulier en cas de stress métabolique. Outre l’examen microscopique, le diagnostic nécessite la mesure de l’activité enzymatique et parfois des tests génétiques.
Inhibition de l’hématopoïèse
L’inhibition de l’hématopoïèse peut être causée par des processus d’infiltration de la moelle osseuse. Ces derniers comprennent de nombreuses tumeurs métastatiques, mais aussi des lymphomes, des myélomes ou des myélofibroses liées à des maladies auto-immunes inflammatoires (LED). En règle générale, toutes les lignées cellulaires sont concernées, des cellules précurseurs de l’érythropoïèse et de la myélopoïèse sont éliminées (hémogramme leucoérythroblastique) et des symptômes concomitants sont observés. Aux stades précoces, il se peut que seulement l’érythropoïèse soit concernée. La mise en évidence d’un processus d’inhibition dans la moelle osseuse nécessite une ponction de la moelle osseuse avec examen histologique. Le traitement dépend de la cause sous-jacente.
Maladies des cellules souches hématopoïétiques
Les maladies des cellules souches hématopoïétiques peuvent commencer par se manifester par une anémie chronique isolée, les autres lignées cellulaires étant cependant de plus en plus touchées au fur et à mesure de leur évolution. On observe souvent une anémie macrocytaire hyporégénérative comme manifestation d’un trouble de la prolifération et de la synthèse de l’ADN. Les indices érythrocytaires et les réticulocytes ne sont qu’indicatifs, mais ne sont pas fiables pour le diagnostic d’une néoplasie myéloïde. Au contraire, l’examen microscopique avec mise en évidence de formes dysplasiques, de cellules précurseurs et de blastes est utile comme première approche diagnostique. Le syndrome myélodysplasique (SMD) est une maladie clonale des cellules souches hématopoïétiques survenant principalement chez les personnes âgées et se caractérisant par des cytopénies, des dysplasies ainsi qu’un risque accru d’évolution vers une leucémie aiguë myéloblastique (LAM) secondaire.16 Pour le diagnostic, une ponction de la moelle osseuse avec cytogénétique conventionnelle est obligatoire, mais le séquençage nouvelle génération (SNG) joue désormais également un rôle important dans la détection de mutations «pilotes».17 Le SNG permet de plus en plus d’identifier des mutations chez les patients âgés qui ne présentent que des cytopénies légères ou fluctuantes et qui ne remplissent pas entièrement les critères d’un SMD.18,19 Cela ouvre un nouveau spectre de maladies clonales des cellules souches allant de valeurs sanguines (presque) normales («clonal hematopoiesis of indetermined significance») à une LAM secondaire, en passant par des cytopénies chroniques légères («clonal cytopenia of undetermined significance») et les différents stades du SMD.20 La détection d’une hématopoïèse clonale progressive liée à l’âge a des implications cliniques à plusieurs niveaux. Ces dernières font actuellement l’objet de recherches intensives. Cela permet notamment de mieux comprendre l’évolution clonale vers le SMD et la LAM secondaire, et d’empêcher déjà éventuellement toute progression à des stades plus précoces avec une complexité clonale moindre. Il existe désormais de plus en plus de preuves que l’hématopoïèse clonale dérégule le système immunitaire de manière complexe et peut être associée à de nombreuses maladies inflammatoires dégénératives systémiques chez les personnes âgées (athérosclérose, troubles de la cicatrisation, remodelage du myocarde, BPCO, diabète sucré, neurodégénérescence).18,21 De plus, 20 à 30% des patients atteints de néoplasie myéloïde présentent des processus auto-inflammatoires et auto-immuns inclassables, qui sont difficiles à traiter et dans lesquels les cellules myéloïdes clonales sont impliquées via la dérégulation de l’homéostasie immunitaire.22 Fin 2020, une nouvelle maladie inflammatoire a été caractérisée (VEXAS). Elle est induite par une mutation somatique du gène UBA1, engendre des manifestations auto-inflammatoires sévères et est associée à des cellules clonales des lignées myéloïde ainsi que lymphatique.23 Les frontières entre les maladies inflammatoires et clonales semblent de ce fait s’estomper davantage, et les preuves expérimentales s’accumulent pour démontrer que l’interaction inflammatoire de la niche hématopoïétique avec le système immunitaire contribue à l’apparition et à la progression des maladies clonales dans la moelle osseuse.24 Ces découvertes permettront probablement de définir de nouvelles approches thérapeutiques pour prévenir à l’avenir la progression d’une hématopoïèse clonale.
Littérature:
1 Herklotz R et al.:Ther Umsch 2006; 63: 35-46 2 https://www.who.int/data/nutrition/nlis/info/anaemia 3 Stauder R et al.: Blood 2018; 131: 505-14 4 Pasricha SR: Blood 2014; 123: 611-2 5 Kassebaum NJ et al.: Blood 2014; 123: 615-24 6 Gaskell H et al.: BMC Geriatr 2008; 8: 1 7 Gandhi SJ et al.: J Clin Med Res 2017; 9: 970-80 8 Culleton BF et al.: Blood 2006; 107: 3841-6 9 Koury MJ, Rhodes M: Hematology Am Soc Hematol Educ Program 2012; 2012: 183-90 10 Pietrangelo A: N Engl J Med 2004; 350: 2383-97 11 Ganz T, Nemeth E: Nat Rev Immunol 2015; 15: 500-10 12 Andrews NC: Blood 2008; 112: 219-30 13 Poyart C, Wajcman H: Mol Aspects Med 1996; 17: 129-42 14 Bossi D, Russo M: Mol Aspects Med 1996; 17: 171-88 15 Jacobasch G, Rapoport SM: Mol Aspects Med 1996; 17: 143-70 16 Cazzola M: N Engl J Med 2020; 383: 1358-74 17 Bonadies N, Bacher VU: Expert Rev Hematol 2019; 12: 379-82 18 Yura Y et al.: JACC Basic Transl Sci 2020; 5: 196-207 19 Steensma DP: Curr Hematol Malig Rep 2019; 14: 536-42 20 Tanaka TN, Bejar R:Blood 2019; 133: 1086-95 21 Jaiswal S: Blood 2020; 136: 1606-14 22 Kipfer B et al.: Semin Hematol 2018; 55: 242-7 23 Beck DB et al.: N Engl J Med 2020; 383: 2628-38 24 Winter S et al.: J Clin Oncol 2020; 38: 1723-35
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