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Thérapie de la dignité

«Après la lecture à voix haute, il règne souvent une atmosphère empreinte de joie et de quiétude.»

Les soins palliatifs ne se limitent pas à la médecine: la thérapie de la dignité n’améliore pas seulement la qualité de vie des patient·es, elle peut aussi apporter beaucoup plus, y compris aux proches et au personnel soignant. La Dre méd. Mirjam Buschor et Gabriela Mallaun de l’hôpital cantonal de Saint-Gall se sont entretenues avec Leading Opinions au sujet de cette forme de thérapie à mi-chemin entre «l’autobiographie et la psychothérapie brève».

Comment fonctionne la thérapie de la dignité? Quelle est son histoire?

G. Mallaun: La thérapie de la dignité (TD) permet de rendre hommage à la personne gravement malade qui raconte son histoire et à sa vie. En interrogeant des patient·es, le fondateur H. M. Chochinov a constaté que, outre la souffrance liée à la maladie, c’est la perte de dignité qui afflige le plus les personnes gravement malades. C’est pourquoi son équipe et lui se sont penchés sur ce qu’est la dignité des personnes et sur la manière dont elle peut être promue dans le cas des personnes gravement malades.

À mi-chemin entre l’autobiographie et la psychothérapie brève, la TD apporte la réponse à cette question. Il s’agit d’une rétrospective de vie qui englobe des souvenirs marquants et vivants, et qui rend hommage à la vie dans cette revue commune par la personne qui raconte et celle qui mène l’entretien/écoute. En outre, la TD consigne des expériences de vie essentielles ainsi que des pensées et des souhaits pour des proches.

Pour les spécialistes en TD, il existe également un guide d’entretien contenant les questions de base à aborder. Ces entretiens sont menés à l’hôpital cantonal de Saint-Gall par une collègue et moi-même. Le récit devient un document écrit sous forme de carnet à anneaux et donc un héritage très personnel transmis à des proches choisis. La générativité, la transmission, joue un rôle aussi important que le processus se déroulant pendant le récit. La transmission peut se faire de son vivant ou après le décès, au choix du narrateur.

<< La générativité, la transmission, joue un rôle aussi important que le processus se déroulant pendant le récit.>>
G. Mallaun, Saint-Gall

M. Buschor: Les proches peuvent trouver une consolation dans le deuil grâce à la transmission de cet héritage spirituel et avoir ainsi la possibilité de faire une fois encore consciemment leurs adieux. La TD peut minimiser le risque de deuil compliqué. Cet héritage autobiographique est également un cadeau qui peut être transmis aux membres de la famille, aux ami·es ou aux partenaires. J’explique aux patient·es qu’il s’agit d’eux·elles dans leur globalité, de toutes les parties saines. Il·elles sont plus que seulement leur maladie.

La TD a été introduite à l’hôpital cantonal de Saint-Gall en 2018 à l’initiative de Michaela Forster, membre de notre personnel soignant, qui est également responsable du projet de TD. Elle a discuté personnellement avec H. M. Chochinov des questions du guide d’entretien que nous utilisons ici, qu’il a validées sous cette forme pour la Suisse.

Quel·les sont les patient·es qui peuvent bénéficier de la TD? Et: Quel·les patient·es y ont recours, selon l’expérience?

G. Mallaun: L’hôpital cantonal de Saint-Gall utilise en principe la TD pour les patient·es en phase palliative de leur maladie. Selon l’intention de H. M. Chochinov, une ou plusieurs des indications suivantes doivent être présentes: dévalorisation de soi, détresse existentielle, perte de sens et/ou besoin de laisser une trace durable derrière soi. D’après mon expérience, il est plus facile pour nos interlocuteur·rices d’accepter la thérapie proposée s’ils/si·elles ont un désir fort de transmettre un héritage.

Lorsque je présente à nouveau la TD lors du premier entretien avec les personnes intéressées, ce sont cependant régulièrement la description des aspects de la perte de dignité et la perspective d’une reconnaissance qui suscitent une approbation visible.

M. Buschor: La description de notre projet mentionne que, en principe, toute personne atteinte d’une maladie potentiellement mortelle peut être abordée pour suivre une thérapie de la dignité. Cette dernière devrait être proposée le plus tôt possible.

La règle générale est la suivante: au plus tôt six mois et au plus tard deux semaines avant le décès. Il existe des études qui encouragent une «early integration», c’est-à-dire le fait de parler très tôt aux patient·es de leur qualité de vie. À l’hôpital, le terme «palliatif» signifie toutefois encore souvent «très proche du décès». Les soins médicaux palliatifs sont donc tardifs, tout comme le recours à la TD. Pourtant, il serait souvent judicieux de promouvoir la dignité bien plus tôt. D’après notre expérience à l’hôpital, la TD s’accompagne également d’un meilleur contrôle des symptômes.

© Hôpital cantonal de Saint-Gall

Fig.1: L’hôpital cantonal de Saint-Gall fournit des informations sur la thérapie de la dignité dans une brochure

La question se pose également de savoir avec quelle précision il est possible de prédire la fin de vie. Grâce aux traitements modernes, les patient·es vivent plus longtemps, mais il n’est pas facile d’estimer la durée de survie et la communication à ce propos est délicate.

Pour participer à cette thérapie, il est important que les patient·es soient motivé·es, qu’il·elles soient lucides sur le plan cognitif, qu’il·elles puissent donner leur consentement et s’exprimer de manière compréhensible. La langue doit en outre produire l’effet recherché, c’est pourquoi nous n’autorisons pas les traductions. Les personnes qui mènent les interviews et les participant·es doivent parler la même langue.

Une brochure résume les principaux points de la TD (Fig. 1).

Quels sont les avantages de la thérapie pour les patient·es?

G. Mallaun: «Éveiller» des souvenirs et les raconter est un processus identitaire. La rencontre avec son propre passé, avec soi-même, est touchante pour le narrateur, et bien sûr aussi pour l’auditeur; elle éveille des émotions légères comme fortes, elle suscite la joie vis-à-vis de ce qui a été accompli, des bons rebondissements initiés par la personne et de ceux qui ont été perçus comme un cadeau.

Lors de la lecture à voix haute, de nombreux·ses patient·es ont des réactions spontanées: «Vous l’avez bien formulé!» La réponse ne peut être que la suivante: «Vous l’avez raconté comme ça.» À la fin de la lecture à voix haute et de la rédaction, il règne pratiquement toujours une atmosphère empreinte de joie et de quiétude, peut-être même de fierté face au résultat après l’effort fourni et de gratitude.

Une de nos interlocutrices a déclaré par la suite que le récit lui-même et les réactions émotionnelles des destinataires à sa rétrospective de vie lui avaient donné une nouvelle impulsion.

Faut-il parfois aller très vite?

G. Mallaun: Oui, il faut des fois se dépêcher. Et parfois, on se rend compte au cours du processus que les choses commencent à se précipiter. C’est pourquoi la question suivante est souvent importante à la fin de l’entretien: «s’il n’est pas possible de vous lire le document écrit, est-ce que votre rétrospective de vie, telle que vous venez de la raconter, doit être imprimée et envoyée aux destinataires?» En général, les personnes concernées sont d’accord. Parmi celles qui sont décédées avant d’avoir terminé de rédiger leur rétrospective de vie, toutes celles que je connais y ont consenti.

La maladie joue-t-elle un rôle central ou secondaire dans le récit de sa propre vie?

G. Mallaun: C’est très variable. Certain·es patient·es commencent leur rétrospective par la maladie actuelle, il·elles décrivent le fardeau, les soucis ainsi que leur tristesse de dire adieu à la vie et à leurs proches.

<< La TD renforce la vision globale. Elle permet d’être sur un pied d’égalité, ce que j’apprécie beaucoup.>>
M. Buschor, Saint-Gall

D’autres ne parlent de leur maladie que lorsqu’on leur demande. Et très peu d’entre eux·elles décident, lorsqu’on leur demande, qu’il·elles ne veulent pas donner de place à la maladie dans leur rétrospective de vie.

Quels sont les plus grands défis que vous rencontrez dans la TD?

G. Mallaun: Pour les rédacteurs, cela peut être un défi si un·e patient·e, malgré son intérêt pour la TD, ne raconte presque rien ou si, au contraire, il·elle a beaucoup de souvenirs et a du mal à les mettre en perspective, de sorte que c’est au rédacteur de le faire. Il peut parfois s’avérer difficile de réagir de manière individuelle et adéquate lorsque l’on se souvient d’expériences de vie traumatisantes, telles que la violence, la séparation ou la perte. En tant qu’auditeur, il est également important et parfois difficile de penser à l’effet que le récit peut avoir sur les destinataires et, le cas échéant, de discuter et de traiter les lourdes déclarations avec les narrateurs.

Y a-t-il une expérience que vous avez particulièrement appréciée avec la TD et que vous souhaitez raconter?

M. Buschor: J’ai eu l’occasion de proposer une TD à ma propre mère. J’ai donc moi-même reçu un tel héritage, intitulé «En paix avec tout». Ma mère m’a offert sa rétrospective de vie à Noël, de son vivant. Il n’a pas été facile d’accepter cet héritage, mais il a une valeur inestimable. J’y ai lu des choses qui ont expliqué et éclairé des éléments biographiques de ma vie sous un jour nouveau.

Sans entrer dans les détails, je peux maintenant dire aux patient·es que j’ai personnellement eu une bonne expérience avec la TD.

G. Mallaun: J’ai été très touchée par la question d’une femme déjà très affaiblie lors de la remise des documents terminés: «Pourriez-vous me le relire?» Une fois de plus, elle voulait passer sa vie en revue. Elle écoutait les yeux fermés.

Un autre interlocuteur était tout excité lors de la lecture et a dit qu’il devait absolument ajouter quelque chose qui s’était passé entre-temps. Le récit de sa vie l’avait amené à réfléchir sur sa famille d’origine déchirée. Il avait cherché son demi-frère sur les réseaux sociaux, l’avait trouvé et contacté. Il en était très heureux. En reprenant contact avec son demi-frère, d’autres souvenirs très touchants avaient resurgi.

Qui décide de l’indication d’une TD?

M. Buschor: La décision de l’indication n’est pas prise par une personne, mais par des multiplicateur·rices. Les collègues de l’équipe interprofessionnelle de l’unité de soins palliatifs et les médecins des consultations de soins palliatifs reçoivent une introduction à la TD. Une fois par semaine, la TD fait également partie intégrante des points abordés lors des réunions interprofessionnelles dans le service.

Si peu de patient·es s’inscrivent à la TD, nous essayons aussi d’en comprendre les raisons. Un facteur peut être, par exemple, la pression économique sur les unités de personnel. Pour aborder le sujet d’une TD, il faut du temps et un environnement calme. L’un des grands avantages est que nos spécialistes en TD se rendent également au domicile des patient·es. Ce n’est pas seulement agréable pour les participant·es, mais cela supprime aussi la pression subie par l’hôpital pour offrir un environnement calme où tout ne tourne pas seulement autour de la médecine.

Peut-on observer des effets positifs de la TD sur le personnel?

M. Buschor: Pour le personnel soignant, la TD aide à se recentrer sur les traits de personnalité et la vie des patient·es. Les soins palliatifs adoptent une approche globale, conforme au modèle biopsychosocial et à la vision spirituelle de l’être humain. Il existe un conflit entre les exigences d’une médecine moderne de haute qualité, les aspects économiques et l’approche thérapeutique globale. La TD renforce la vision globale. Elle permet d’être sur un pied d’égalité, ce que j’apprécie beaucoup.

Quelle est la relation de travail des spécialistes en TD?

M. Buschor: Les spécialistes s’intéressent personnellement au sujet et suivent des formations continues sur la TD. Ils sont rémunérés à l’heure. Le centre de soins palliatifs prend en charge les coûts de production des documents et les frais de déplacement.

Existe-t-il des mesures de protection des données?

M. Buschor: Les rétrospectives de vie n’existent que sous forme imprimée. Il y a toujours des discussions à ce sujet, car les proches demandent plus souvent un document sous forme numérique. Je suis clairement contre, car un document numérique devient modifiable. En outre, les droits de la personnalité des patient·es doivent être protégés.

Et il y a aussi le secret médical. Cela implique également que toutes les personnes travaillant dans le cadre de la TD signent un contrat de travail avec l’hôpital cantonal de Saint-Gall, que les documents de la TD ne doivent pas être conservés chez des particuliers et que l’hôpital met à disposition les dictaphones pour les entretiens, dont le contenu doit être régulièrement effacé.

Quelles sont les recommandations pour les hôpitaux qui souhaitent mettre en place la TD?

M. Buschor: Il est bon de consulter la littérature et de se mettre ensuite en contact avec des établissements qui travaillent déjà avec la TD. Le travail en réseau est très important. Nous sommes ouverts à partager nos expériences, sans bien sûr pouvoir transmettre les documents.

Avez-vous un mot de conclusion sur la TD?

M. Buschor: Il s’agit d’un instrument qui permet de considérer les personnes dans leur globalité. Personnellement, j’éprouve alors un sentiment d’humilité face à l’histoire de vie des patient·es. Dans une médecine très axée sur l’économie et la rapidité, nous devrions toujours garder cela à l’esprit.

G. Mallaun: D’après mon expérience, la TD est touchante et précieuse, tant pour les narrateurs que pour les destinataires. Elle l’est aussi pour moi en tant que rédactrice, car j’aime rencontrer des gens et écrire. Cette thérapie est merveilleuse et porteuse de sens.

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