Les chatbots en médecine
Auteur·es:
Dre méd. Mayssam Nehme1
Pr Dr méd. Idris Guessous1,2
1 Service de médecine de premier recours
Hôpitaux Universitaires de Genève
2 Faculté de médecine
Université de Genève
E-mail: mayssam.nehme@hug.ch
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L’intelligence artificielle (IA) vient transformer de nombreux secteurs, y compris la santé, apportant des innovations prometteuses mais aussi des défis et un semblant de mouvement de pendule qui trouvera avec le temps un équilibre considérant les impératifs éthiques et réglementaires, ainsi que les bénéfices transformateurs que cette innovation pourrait apporter dans la prise en charge des patientes et patients. Les outils d’IA doivent pouvoir assister les médecins dans cette prise en charge et offrir une information accessible au bon moment aux patientes et patients, contribuant ainsi à libérer du temps patient-médecin et améliorant la qualité de la prise en charge.
Aujourd’hui, force est de constater que l’accès à un médecin spécialiste et désormais même à son médecin traitant devient de plus en plus difficile. Les patientes et patients sans réponses à leurs questions, se retournent vers les moteurs de recherche sur internet ou les réseaux sociaux, avec trop souvent une information incorrecte voire dangereuse. Cette pratique contreproductive entraîne une surcharge du système et diminue l’accès aux soins au bon moment, et la qualité de la prise en charge. Les médecins traitants de leur côté font face à un temps limité de consultation, des cas de plus en plus complexes, une multitude de professionnelles et professionnels à coordonner, et une surcharge administrative qui les mènent à ressentir une frustration croissante. Se retrouvant dans une situation les empêchant de fournir les soins de qualité qu’elles ou ils souhaitent pouvoir fournir, un désenchantement se ressent dans leurs missions de médecins.1–3
Une évolution du système avec des solutions innovantes est nécessaire pour garder la relation patient-médecin au centre de la prise en charge et aider les médecins à remplir leur mission du prendre soin. Les chatbots sont un exemple d’IA qui aujourd’hui peuvent être utilisés pour assister les médecins dans leur travail et mission. Les chatbots sont des programmes informatiques capables de simuler une conversation, par écrit ou oralement en langage naturel. Le langage naturel fait référence au langage humain qui peut être complexe, ambigu mais désormais compréhensible par les machines et modèles de chatbots avancés (larges modèles de langage ou LLM). Un des exemples (discuté plus bas) de développement de chatbots LLM en cours aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) est le projet confIAnce, chatbot d’informations générales sur les maladies chroniques en médecine de premier recours. Ce projet se base sur une première expérience de chatbot sur le post-Covid développé par les HUG: https://www.rafael-postcovid.ch .4
Les applications des chatbots en santé
Les chatbots peuvent être utilisés à différentes étapes du parcours de santé des personnes, allant de la gestion administrative à l’interaction directe avec les patientes et patients. Un état des lieux montre que les chatbots peuvent aider dans les différentes activités suivantes:
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Gestion des rendez-vous et des consultations: Une des premières applications des chatbots est la gestion des rendez-vous. Les patientes et patients peuvent interagir avec les chatbots pour prendre rendez-vous, poser des questions, avoir une personnalisation de leur rendez-vous, modifier ou annuler une consultation. L’interactivité et accès à ces fonctionnalités réduisent considérablement le temps d’attente, personnalise le parcours des patientes et patients, et diminue les tâches administratives pour pouvoir libérer du temps, se concentrer sur les relations humaines et les cas les plus complexes (rupture numérique, difficulté à prendre ou suivre les rendez-vous entre autres).
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Suivi et rappels: Un chatbot peut rappeler aux patientes et patients de prendre leurs médicaments, répondre à des questions périodiques concernant leur traitement ou même alerter le médecin en cas d’anomalie dans les symptômes rapportés. Il s’agit de plateforme interactive considérant les données des patientes et patients pour un suivi personnalisé. Ce suivi aujourd’hui limité à cause des ressources humaines à disposition pourrait monter en puissance grâce aux technologies innovantes.
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Accès à l’information vérifiée 24h/24, 7j/7: L’information vérifiée et accessible 24h/24, 7j/7 rend les patientes et patients plus actrices et acteurs de leur santé, contribue à l’enseignement thérapeutique, à l’adhérence au traitement proposé par le médecin, et à l’autogestion.5 En répondant aux préoccupations des patientes et patients au bon moment, l’accès à l’information et aux soins est amélioré, avec un support ou relais en l’attente d’une prochaine consultation avec son médecin traitant, et une potentielle diminution des consultations aux urgences quand non nécessaires. L’information au bon moment a été démontrée comme levier dans les changements de comportements ou d’habitudes pour améliorer la santé (interventions «just-in-time»).6 L’information accessible doit être vérifiée et de confiance, sinon elle peut mener (comme trop souvent) à des erreurs de prise en charge, une diminution de la qualité des soins, et une mauvaise compréhension de sa maladie.
Dans ce cadre, et pour offrir un accès à l’information vérifiée à tout moment, les HUG développent le chatbot «confIAnce» ( https://www.youtube.com/watch?v=uuF3abMgd_w ).
Depuis des années et à ce jour, le Service de Médecine de Premier Recours, SMPR, plus grand service de médecine de premier recours de Suisse, élabore, met à jour et offre en libre accès des stratégies de médecine de premier recours pour les sujets les plus courants qui sont du ressort du médecin traitant ( https://www.hug.ch/medecine-premier-recours/strategies-medecine-premier-recours ). Ces stratégies, rédigées en partenariat avec des spécialistes des HUG et des médecins de la ville, s’adressent à l’origine aux professionnelles et professionnels de santé et sont utilisées pour la prise en charge des maladies chroniques. Ces stratégies sont par ailleurs une source d’informations importante pour les étudiantes et étudiants en médecine. Les stratégies du SMPR contiennent une très importante quantité d’informations qui, adaptées en langage naturel peuvent être utilisées dans le développement d’un chatbot pour les patientes et les patients. Le contenu (base de connaissance du chatbot) sera utilisé pour comprendre et répondre aux nombreuses questions des utilisatrices et utilisateurs. Cette alimentation ou entraînement du chatbot servira de base de connaissances vérifiée pour offrir une information médicale validée et de confiance. Le chatbot a pour mission de fournir des informations générales, restreintes à la base de connaissance fournie et vérifiée (les stratégies du SMPR), sans poser de diagnostic. Le travail de préparation en amont et de tests avec l’aide des experts juridiques, de développement informatique, de sécurité des données et de la communication aide à restreindre le champ d’action du chatbot pour proposer un outil utile et qui donne accès à l’information vérifiée au bon moment sans remplacer le médecin traitant.
Défis et limites de l’utilisation des chatbots en médecine
Malgré leurs nombreux avantages, l’utilisation des chatbots en médecine présente aussi des défis non négligeables. L’un des principaux obstacles est la responsabilité médicale et de bien délimiter le cadre et contexte du chatbot. Des chatbots développés dans un futur proche pourront éventuellement prédire une maladie, aider les médecins à poser un diagnostic ou intervenir dans le parcours de santé. Ces chatbots seront considérés comme des dispositifs médicaux et doivent répondre aux critères, aux normes et aux processus de certification7 ( https://doi.org/10.57187/s.3954 ). De plus, la responsabilité médicale est un vrai enjeu dans ce cas. Une analyse des risques, ainsi qu’une vérification par les personnes expertes dans le métier (médecins ou autres selon l’utilisation du chatbot) reste nécessaire pour proposer une offre fiable. Ces outils sont donc utilisés en complément et non pas en substitution des soins humains, surtout dans des situations médicales complexes.
D’autre part, les chatbots, s’ils accèdent à des informations des patientes ou patients représentent comme le dossier électronique un défi en matière de protection des données personnelles et doivent aussi répondre aux exigences nationales et internationales. Aujourd’hui, aux HUG, des groupes de travail sur l’IA sont mis en place pour assurer l’accompagnement des projets et innovations au sein de l’institution. Une charte d’utilisation rappelle que toutes collaboratrices et tous collaborateurs sont soumis au secret médical, que toute donnée transmise aux chatbots doit être considérée comme publique, qu’aucune donnée personnelle, y compris l’épisode de soins, nom, prénom etc. ne doit être transmise.
Finalement, et plus particulièrement en lien avec l’IA, malgré les progrès remarquables effectués ces dernières années, le risque d’hallucinations (informations incorrectes ou incohérentes) reste présent, ainsi que les biais sociétaux ou autres. Il est aujourd’hui évident que les modèles proposés sont pour la plupart entrainés sur des données anglophones, et prennent en considération l’information vaste et large existante sur internet avec toute sa richesse et ses limitations. Nous pensons que pour que les chatbots soient véritablement pertinents dans des contextes locaux ou régionaux, il est indispensable qu’ils soient alimentés par des bases de données adaptées à ces environnements. L’adaptabilité des chatbots aux contextes locaux, régionaux ou autres et aux besoins de nos populations se fera grâce à des bases de connaissance locales et régionales auxquelles les chatbots peuvent être restreints, pour pouvoir répondre aux besoins des populations. C’est à travers cette personnalisation, comme le veut le projet confIAnce, que nous pourrons accroître la précision et l’utilité des réponses offertes aux patientes et patients ainsi qu’aux médecins, afin de mieux répondre à leurs besoins spécifiques.
Perspectives futures
L’avenir des chatbots en médecine semble prometteur, avec des évolutions rapides en matière d’IA. L’intégration de ces technologies dans les systèmes de santé pourrait améliorer le parcours de soins des patientes et patients et libérer du temps patient-médecin pour retrouver le sens dans la mission du prendre soin.
En somme, les chatbots représentent une innovation importante et possible, offrant des opportunités uniques pour améliorer l’accès à l’information vérifiée et l’efficacité des systèmes de santé. Cependant, leur adoption nécessite une réflexion approfondie sur les défis éthiques, techniques et humains liés à leur utilisation. Les professionnelles et professionnels de santé doivent être aujourd’hui leader dans les implémentations de l’IA, dans un environnement encadré assurant la sécurité et la qualité, pour bénéficier et faire bénéficier demain, d’une médecine transformée.
Littérature:
1Saudan P: Nous devons soutenir la médecine genevoise de premier recours. Tribune de Genève 2023; https://www.tdg.ch/nous-devons-soutenir-la-medecine-genevoise-de-premier-recours-989526695558 ; accès 5.5.2023 2 Schutz K et al.: Médecins de famille et pédiatres sous pression. Bulletin des medecins suisses 2023; 4: 28-31 3 Guessous I: Renouveler et transmettre. Rev Med Suisse 2023; 19: 1727-8 4 Nehme M et al.: The development of a chatbot technology to disseminate post–COVID-19 information: descriptive implementation study. J Med Internet Res 2023; 25: e43113 5 Office fédéral de la santé publique OFSP. Soutien à l’autogestion lors de maladies non transmissibles, d’addictions et de maladies psychiques. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/nationale-gesundheitsstrategien/strategie-nicht-uebertragbare-krankheiten/praevention-in-der-gesundheitsversorgung/selbstmanagement-foerderung-chronische-krankheiten-und-sucht.html 6 Nahum-Shani I et al.: Just-in-time adaptive interventions (JITAIs) in mobile health: key components and design principles for ongoing health behavior support. Ann Behav Med 2018; 52: 446-62 7 Nehme M et al.: Chatbots in medicine: certification process and applied use case. Swiss Med Wkly 2024; 154: 3954 https://doi.org/10.57187/s.3954
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