Un nouveau regard sur la complexité des syndromes coronariens chroniques
Compte-rendu:
Reno Barth
Journaliste médical
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Les directives de l’European Society of Cardiology (ESC) sur la prise en charge des syndromes coronariens chroniques ont été révisées en profondeur. Un nouveau score est proposé pour permettre de mieux évaluer la probabilité d’une maladie coronarienne obstructive, ce qui permet d’éviter des angiographies superflues. Les recommandations pour le traitement médicamenteux ainsi que pour la revascularisation ont également été adaptées, la chirurgie cardiaque présentant un léger avantage.
Keypoints
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Les syndromes coronariens chroniques ne peuvent pas être expliqués uniquement de manière mécanique par une sténose coronaire progressive.
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L’ESC propose un nouvel algorithme de diagnostic pour déterminer la probabilité pré-test pour une éventuelle angiographie.
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L’angiographie par TDM est une bonne méthode pour exclure toute maladie coronarienne.
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Après un infarctus du myocarde ou une ICP, une monothérapie par le clopidogrel peut remplacer la monothérapie par l’aspirine après la fin de la double antiagrégation plaquettaire.
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Une revascularisation doit être envisagée chez les patients qui souffrent durablement d’angor sous thérapie conservatrice optimisée.
Ces dernières années, on a assisté à un changement de paradigme dans la compréhension de la physiopathologie de l’ischémie myocardique et des syndromes coronariens chroniques (CCS). «Nous sommes passés d’un concept très simple de sténose proximale comme cause de l’ischémie à un modèle plus complexe et dynamique qui inclut non seulement les sténoses macrovasculaires, mais aussi la dysfonction microvasculaire et le vasospasme», explique le Pr Christiaan Vrints de l’université d’Anvers. L’expert a présenté les «2024 ESC Guidelines for the Management of Chronic Coronary Syndromes» dans le cadre du congrès de l’ESC de cette année.
Les CCS sont définis dans la nouvelle directive comme un spectre de présentations cliniques ou de syndromes résultant d’anomalies structurelles ou fonctionnelles dus à des maladies coronariennes chroniques ou des anomalies de la microcirculation. Ces perturbations entraînent un déséquilibre transitoire et réversible entre les besoins en oxygène et l’apport sanguin, et donc une hypoperfusion. Les facteurs déclencheurs sont le plus souvent, mais pas toujours, un effort physique ou un stress émotionnel. Les CCS peuvent rester stables pendant une période prolongée, mais comportent toujours le risque d’une aggravation soudaine au sens d’un syndrome coronarien aigu. La complexité de la physiopathologie explique également pourquoi les interventions percutanées ne sont pas toujours couronnées de succès dans le cas des CCS, selon C.Vrints. Il n’est pas rare que des patients chez qui une sténose proximale a été traitée avec succès restent symptomatiques, par exemple à cause d’un vasospasme survenant dans les vaisseaux distaux. Il faut toujours garder ces relations à l’esprit en cas de CCS.
Un nouvel algorithme permet d’éviter les angiographies superflues
En cas de suspicion de CCS, une approche par étapes est recommandée, comme dans les directives précédentes. Elle prévoit une évaluation initiale, puis une évaluation complémentaire suivie d’une estimation du risque d’événement cardiovasculaire et d’un traitement. Toutefois, l’algorithme a changé dans le détail. Dans le cadre de l’évaluation complémentaire, il est recommandé de déterminer la probabilité d’une maladie cardiovasculaire obstructive à l’aide du modèle de probabilité clinique pondéré par les facteurs de risque. Ce modèle est basé sur un score de trois points attribués en fonction de questions cliniques listées dans la directive. C.Vrints souligne que les scores de l’ESC ou de l’American College of Cardiology (ACC), qui se basaient auparavant uniquement sur l’âge, le sexe et les symptômes, surestimaient massivement le risque individuel de maladie coronarienne obstructive. Environ 50% des patients appartiennent à un groupe à risque très faible de maladie coronarienne obstructive (MCO; <5%) selon le nouvel algorithme, ce qui fait passer des examens complémentaires au second plan. «En fin de compte, nous ne posons pas nos diagnostics selon un modèle prédictif, mais nous prenons des décisions cliniques qui concernent la prise en charge ultérieure. Le modèle prédictif nous fournit uniquement la probabilité pré-test. Nous ne renonçons donc pas à l’ergométrie, mais nous l’utilisons pour pouvoir estimer le risque ultérieur et ajuster les résultats du modèle prédictif», explique C.Vrints. Chez les patients présentant des comorbidités importantes et une mauvaise qualité de vie, il est possible de renoncer à un examen complémentaire et d’opter pour une thérapie purement conservatrice.
L’imagerie précède l’angiographie invasive dans la plupart des cas
Si le modèle prédictif n’indique pas un risque faible, un examen complémentaire non invasif est indiqué. L’ESC recommande de réaliser ensuite une angiographie par TDM chez les patients à risque faible à modéré (5–50%) et une imagerie fonctionnelle chez les patients à risque modéré à élevé (15–85%) pour diagnostiquer une ischémie myocardique. «Si une maladie coronarienne est peu probable, la TDM a l’avantage d’avoir une valeur prédictive négative élevée. Il s’agit donc d’une bonne méthode pour exclure toute maladie coronarienne. Chez de nombreux patients avec une probabilité pré-test de 20%, par exemple, les deux examens sont indiqués. Si la probabilité est supérieure à 85%, une angiographie coronaire invasive est recommandée sans autre examen préalable», explique C.Vrints.
Chez de nombreux patients chez lesquels aucun signe d’obstruction coronaire n’a été détecté, il faut envisager une ANOCA («angina with no obstructive CAD») ou une INOCA («ischemia with no obstructive CAD») (Fig. 1). La maladie cardiovasculaire obstructive ne représente que la partie émergée de l’iceberg de la maladie coronarienne, selon C.Vrints. Dans la partie submergée, on retrouve différentes pathologies allant de la dysfonction endothéliale à l’ischémie détectable en cas de besoin accru en oxygène, qui peuvent toutes provoquer des troubles.
Fig. 1: ANOCA-INOCA – Angor/ischémie sans obstruction coronaire (modifiée selon Vrints C et al. 2024)1
«La nouvelle directive vise un traitement global des syndromes coronariens chroniques», souligne la Pre Felicita Andreotti de l’Université catholique du Sacré-Cœur, Rome (Italie). Elle décrit ainsi des relations cliniques, anatomiques et fonctionnelles qui s’étendent à plusieurs facteurs de risque: dysfonction endothéliale, réduction de la réserve coronaire, maladie macro- et microvasculaire ainsi qu’anomalies de la microcirculation, formation de plaques d’athérome, ischémie, angor, infarctus, insuffisance cardiaque, voire décès. «Le traitement de chacun de ces éléments a nécessairement un impact sur les autres éléments et donc sur les résultats cliniques ainsi que sur la qualité de vie», a déclaré F.Andreotti. Il faut donc une prise en charge de la maladie centrée sur les patients. Cela exige de les motiver, mais aussi d’écouter attentivement ce que l’on appelle les «patient reported outcomes». D’une part, il faut parler aux patients de leur maladie avec des mots simples, de manière claire et ouverte. D’autre part, les patients doivent être responsabilisés quant à leur mode de vie. Cela concerne aussi bien le contrôle du poids et de la pression artérielle que la consommation raisonnable d’alcool, l’adhésion à la prise de médicaments et la gestion efficace du stress. «Il faut encourager les gens à prendre soin d’eux chaque jour. Les maladies chroniques sont un défi quotidien», souligne F.Andreotti.
Classification par niveau de recommandation plutôt que par ligne de traitement
Les différents médicaments antiangineux efficaces, y compris les association possibles,les indications et les contre-indications particulières, sont résumés dans un diagramme selon le modèle du diamant, qui indique également les niveaux de recommandation respectifs des différents traitements (Fig. 2). Cette classification selon le niveau de recommandation remplace la liste plus courante selon la première et la deuxième ligne de traitement.
Fig. 2: Traitement médicamenteux de l’angor: médicaments antiangineux et associations (modifiée selon Vrints C et al. 2024)1
«Si un traitement antithrombotique est indiqué, par exemple après une intervention coronarienne percutanée (ICP), il s’agit de ne pas perdre de vue l’équilibre entre le risque de thrombose et le risque hémorragique», souligne F.Andreotti. La directive énumère les différentes constellations de risques et donne des recommandations détaillées concernant la durée ainsi que le type de traitement antithrombotique. Certaines recommandations sont nouvelles. Par exemple, les patients avec antécédents d’infarctus du myocarde ou ayant subi une ICP après la fin de la double antiagrégation plaquettaire (DAPT) pourront désormais recevoir du clopidogrel comme alternative à l’aspirine. Chez les patients sans antécédents d’infarctus du myocarde ou de revascularisation, mais atteints d’une maladie coronarienne obstructive significative, l’aspirine est recommandée à vie. Les patients à haut risque hémorragique, mais à faible risque ischémique, doivent prendre une DAPT pendant seulement un à trois mois après l’ICP, puis poursuivre l’antiagrégation plaquettaire en monothérapie.
Afin de mieux maîtriser le risque résiduel que présentent les patients atteints de maladie coronarienne outre le risque de thrombose, des traitements anti-inflammatoires et métaboliques sont également recommandés. La nouvelle directive contient des recommandations de niveau IIa pour l’utilisation de l’agoniste des récepteurs du GLP-1 sémaglutide chez les patients en surpoids ou obèses ne souffrant pas de diabète, mais présentant un syndrome coronarien chronique, ou pour l’utilisation de la colchicine à faible dose afin de réduire un résultat cardiovasculaire défavorable.
Recommandations fortes pour la revascularisation chirurgicale
Les recommandations relatives à la revascularisation ont également été révisées. La directive précise qu’en cas de sténose du tronc commun et de faible risque opératoire, la revascularisation chirurgicale («coronary artery bypass graft surgery»; CABG) doit être privilégiée aussi bien à une thérapie conservatrice qu’à une intervention percutanée. La CABG est associée à un risque plus faible d’infarctus du myocarde ultérieur. En cas de sténose de faible complexité pour laquelle l’ICP permet d’obtenir une revascularisation aussi bonne que la CABG, l’ICP est toutefois recommandée comme méthode moins invasive. Il s’agit d’une recommandation de niveau de preuve Ia. Chez les patients présentant une FEVG d’au moins 35% en cas de maladie tritronculaire, ainsi qu’en cas de maladie mono- ou bitronculaire impliquant le rameau interventriculaire antérieur, il est également recommandé de procéder à une revascularisation en plus du traitement médicamenteux. La méthode de revascularisation doit être choisie au cas par cas. De même, il convient de procéder à une revascularisation chez les patients qui souffrent durablement d’angor sous thérapie conservatrice optimisée. Un suivi à long terme des patients pour évaluer l’efficacité ainsi que les effets indésirables des traitements choisis est recommandé.
Source:
Congrès de l’ESC, du 30 août au 3 septembre 2024, Londres
Littérature:
1 Vrints C et al.: ESC Scientific Document Group: 2024 ESC Guidelines for the management of chronic coronary syndromes. Eur Heart J 2024; 45: 3415-537
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