Les approches ciblées rattrapent leur retard
Auteure:
Dre méd. Ilaria Colombo
Istituto Oncologico della Svizzera Italiana
Bellinzona
E-mail: ilaria.colombo@eoc.ch
Comparativement à d’autres types de tumeurs, la mise au point de traitement ciblant HER2 dans les cancers gynécologiques accuse un léger retard. Néanmoins, des données prometteuses ont déjà été obtenues dans le traitement des cancers de l’endomètre, du col de l’utérus et des ovaires.
Dans le domaine des cancers gynécologiques, on observe des altérations du gène HER2, comme une amplification et une mutation de HER2, en particulier dans les trois formes les plus fréquentes, le cancer du col de l’utérus, le cancer de l’endomètre et le cancer de l’ovaire.1 Fait notable, la classification du cancer de l’endomètre a évolué au cours des dernières années, passant d’une approche purement pathologique à un modèle intégrant le profil moléculaire. Il en résulte quatre sous-groupes moléculaires pertinents pour le pronostic et le choix du traitement adjuvant: ceux qui présentent une mutation POLE, un défaut de réparation de la mosaïque (dMMR), une anomalie p53 ou un profil moléculaire non spécifique.2 Au-delà de ces quatre catégories, il existe diverses aberrations moléculaires, dont font partie les altérations de gène HER2. Histologiquement, elles sont très souvent identifiées dans le sous-type «copy-number high serous-like» et même dans certains sous-types agressifs comme le carcinosarcome et le carcinome à cellules claires.3 Une analyse rétrospective des cohortes PORTEC-3 et TCGA a évalué les associations possibles entre le statut HER2 et la classification moléculaire. La positivité de HER2 est ainsi principalement présente dans le sous-groupe présentant des anomalies p53, alors qu’elle est absente dans les groupes présentant une mutation POLE et un dMMR.4 Comme pour d’autres cancers, le statut HER2 positif semble généralement associé à un pronostic moins favorable par rapport à la maladie HER2 négative. Toutefois, dans le cas du cancer de l’endomètre à haut risque avec expression aberrante de p53, la présence d’une positivité HER2 n’est pas associée à une dégradation supplémentaire des résultats, malgré la prévalence élevée dans ce groupe, car l’altération de p53 détermine le pronostic.
Substances ciblant HER2 dans les études cliniques
En 2018, une étude de phase II a permis d’évaluer avec succès l’ajout de trastuzumab au traitement de première ligne du cancer de l’endomètre par carboplatine/paclitaxel.5 Par rapport à la chimiothérapie seule, la survie sans progression (PFS) a été prolongée de plus de quatre mois (12,6 vs 8,0mois; HR: 0,44; p=0,0052). La population de patientes était relativement petite, mais les résultats doivent être considérés dans le contexte d’une maladie pour laquelle il manquait à l’époque des possibilités de traitement efficaces après l’échec du carboplatine/paclitaxel. C’est pourquoi les lignes directrices actuelles du NCCN recommandent l’administration de trastuzumab en plus du carboplatine/paclitaxel chez les patientes atteintes d’un cancer de l’endomètre HER2-positif.6
Une stratégie sans chimiothérapie a été évaluée dans l’étude panier TAPUR.7 Des patientes atteintes d’un cancer de l’endomètre HER2/3-positif ont reçu le trastuzumab en association avec le pertuzumab. Seules trois patientes présentaient des mutations du gène HER2, tandis que les autres avaient obtenu un résultat positif au test d’amplification et/ou de surexpression de HER2/3, l’amplification de HER2 et les mutations de HER2/3. Le taux de réponse global était faible (7%) et le taux de contrôle de la maladie était de 37%. Compte tenu du caractère agressif du sous-type séreux avec amplification et surexpression de HER2, la chimiothérapie semble indispensable dans ce groupe.
Cancer du col de l’utérus et des ovaires
Il n’existe que peu de données sur l’utilisation des traitements ciblant HER2 dans le cancer du col de l’utérus. Le nératinib, un inhibiteur pan-HER2, a été étudié dans l’étude panier de phaseII SUMMIT, qui comprenait une cohorte de patientes atteintes de cancer du col de l’utérus après l’échec d’une chimiothérapie standard à base de platine (n=22). Au total, 18,2% des patientes ont répondu au traitement et 45,5% ont obtenu un bénéfice clinique.8 Il s’agit d’observations pertinentes, car elles indiquent que la voie de signalisation HER2 joue un rôle dans le cancer du col de l’utérus dans certains cas.
Une étude rétrospective a montré que dans le cancer de l’ovaire, l’expression de HER2 varie considérablement, avec des scores immunohistochimiques (IHC) de 2+ pour la mutation BRCA et BRCA de type sauvage.9 Une expression de HER2 a été observée dans différents sous-types histologiques. Jusqu’à 30% des patientes présentant le sous-type séreux de haut grade présentaient des scores de 2+ et 3+, mais le score de 3+ était rare (4,6%). L’adénocarcinome mucineux de l’ovaire est relativement résistant à la chimiothérapie; dans ce groupe, les scores d’expression de HER2 étaient de 2+ et 3+ dans 25% et 18,8% des cas, respectivement. Compte tenu de la disponibilité d’options thérapeutiques toujours plus performantes, il convient de garder à l’esprit que HER2 est une cible pour ces tumeurs et de procéder à un dépistage systématique.
Études sur le T-DXd
Le trastuzumab-déruxtécan (T-DXd) a été évalué dans l’étude panier de phaseII DESTINY-PanTumor02, menée auprès de patient·es atteint·es de diverses tumeurs solides HER2-positives (IHC 2+ ou 3+) après au moins une ligne de traitement standard.10 L’administration de T-DXd a entraîné des taux de réponse objective (ORR) remarquables dans les cohortes de cancers du col de l’utérus, de l’endomètre et des ovaires. Chez les patientes IHC 3+ de ces trois groupes, les ORR étaient respectivement de 75%, 84,6% et 63,6%. La plupart des participantes ont obtenu une réduction de la tumeur. De même, la PFS était la plus longue pour les patientes IHC 3+,bien qu’une certaine activité ait également été observée dans les cohortes avec IHC 2+.
Une étude de petite envergure a évalué le T-DXd dans le carcinosarcome agressif et rare de l’utérus.11 L’évaluation a été réalisée chez des patientes présentant une forte expression de HER2 (IHC ≥2+), mais également dans une cohorte HER2-low (IHC 1+). À l’analyse, l’ORR était de 54,5% pour IHC ≥2+ et de 70% pour IHC 1+. La majorité des patientes ont bénéficié du traitement par T-DXd.
Take Home Messages et questions en suspens
Bien que la mise au point de formes de traitement ciblant HER2 dans les cancers gynécologiques accuse encore un certain retard par rapport à d’autres types de tumeurs, il ne fait aucun doute que l’identification de cibles telles que la surexpression de HER2 est la condition préalable à l’optimisation des résultats thérapeutiques. Compte tenu de la disponibilité de traitements efficaces, nous devons utiliser les connaissances acquises dans le domaine des autres cancers. Les conjugués anticorps-médicament vont changer le paradigme du traitement en gynéco-oncologie. Plusieurs études de phaseIII sont prévues avec le T-DXd dans les tumeurs HER2-positives afin de confirmer les résultats existants.
Il reste toutefois quelques questions en suspens, comme l’évaluation et la définition optimales de la positivité de HER2 dans les tumeurs gynécologiques, l’hétérogénéité de l’expression de HER2 et l’intégration du traitement anti-HER2 dans le paradigme thérapeutique.D’autres considérations concernent la composition des combinaisons optimales (par ex. avec l’immunothérapie, les inhibiteurs de PARP) et le type de mécanismes de résistance (par ex. PI3KCA, altération de PTEN). Une période passionnante nous attend, car nous devrons répondre à toutes ces questions dans nos essais cliniques.
Littérature:
1 CBioPortal for cancer genomics: www.cbioportal.org 2 Oaknin A et al.: Endometrial cancer: ESMO Clinical Practice Guideline for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol 2022; 33(9): 860-77 3 Morice P et al.: Endometrial cancer. Lancet 2016; 387(10023): 1094-108 4 Vermij L et al.: HER2 status in high-risk endometrial cancers (PORTEC-3): relationship with histotype, molecular classification, and clinical outcomes. Cancers (Basel) 2020; 13(1): 44 5 Fader AN et al.: Randomized phase II trial of carboplatin-paclitaxel versus carboplatin-paclitaxel-trastuzumab in uterine serous carcinomas that overexpress human epidermal growth factor receptor 2/neu. J Clin Oncol 2018; 36(20): 2044-51 6 NCCN Guidelines Endometrial Carcinoma v2.2024 7 Ahn ER et al.: Pertuzumab plus trastuzumab in patients with endometrial cancer with ERBB2/3 amplification, overexpression, or mutation: results from the TAPUR Study. JCO Precis Oncol 2023; 7: e2200609 8 Friedman CF et al.: Targeting HER2-mutant metastatic cervical cancer with neratinib: final results from the phase 2 SUMMIT basket trial. Gynecol Oncol 2024; 181: 162-9 9 Kim YN et al.: Human epidermal growth factor receptor-2 expression and subsequent dynamic changes in patients with ovarian cancer. Sci Rep 2024; 14(1): 7992 10 Meric-Bernstam F et al.: Efficacy and safety of trastuzumab deruxtecan (T-DXd) in patients with HER2-expressing solid tumors: DESTINY-PanTumor02 (DP-02) interim results. J Clin Oncol 2023; 41(Suppl_17): Abstr. #LBA3000 11 Nishikawa T et al.: Trastuzumab deruxtecan for human epidermal growth factor receptor 2-expressing advanced or recurrent uterine carcinosarcoma (NCCH1615): the STATICE trial. J Clin Oncol 2023; 41(15): 2789-99
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